Focus sur… les entreprises familiales et l’ESG

Richelieu Gestion

Focus sur… les entreprises familiales et l’ESG

Les entreprises familiales et l’ESG, championnes ou parias ?

Par Clémence de Rothiacob, gérante du fonds Richelieu Family

En préambule, il nous semble opportun de préciser qu’il serait mal aisé de mettre en avant tel ou tel classement ESG des entreprises familiales tant la notation extra-financière d’une entreprise dépend des critères utilisés et de leurs pondérations, qui diffèrent selon les agences de notation et serait donc source de confusion. En effet, puisqu’il n’y a parfois qu’une faible corrélation entre les notes ESG des différentes agences de notation, il nous semble peu pertinent de favoriser l’une ou l’autre : c’est aussi la raison pour laquelle, pour notre fonds investi en entreprises familiale, Richelieu Family, nous avons opté pour une méthodologie propre, développée par nos soins avec l’aide d’experts, pour s’adapter aux spécificités des entreprises familiales.

De plus, il faudrait également différencier les notes des entreprises familiales selon leur taille de capitalisation. En effet, par manque de données (faute de moyens le plus souvent) et non par manquement, les petites et moyennes entreprises sont parfois mal notées, celles familiales n’échappant donc pas à la règle. Il ne faudrait pas imputer une mauvaise note à leur caractère familial mais parfois à leur statut, sachant que la majorité des entreprises familiales cotées sont des PME-ETI.

En revanche, en terme de performance boursière, les études, s’appuyant sur des éléments factuels, convergent, démontrant la surperformance sur le long terme des entreprises familiales (cf Credit Suisse, sept 2020). Nous qui sommes convaincus du lien de cause à effet entre solide notation ESG/absence de controverses graves et performance à long terme, voyons donc, dans la surperformance boursière long terme des entreprises familiales, une possible conséquence de leur solide traitement des problématiques ESG, les entreprises familiales étant déjà championnes dans les classements lorsqu’il s’agit de critères fondamentaux tels la solidité des bilans, la pérennité de la croissance, de la rentabilité et l’investissement dans l’innovation.  

Les entreprises familiales ont, par nature, une solide orientation environnementale et sociale

N’oublions pas que la notion de pérénité est au cœur du modèle économique des entreprises familiales et de leur mission puisque la transmission de l’entreprise aux futures générations est leur vocation première. C’est dans une perspective long terme qu’elles prennent la majeure partie de leurs décisions et se sentent responsables de leurs engagements auprès de leurs parties prenantes.

Privilégiant la création de valeur à long terme aux profits court-termistes, les entreprises s’organisent naturellement, et donc de façon pro-active, pour répondre au mieux aux exigences ESG et de durabilité. Contrairement à certaines idées reçues qui voudraient que les entreprises familiales soient « à la traîne », moins enclines au changement, les études académiques démontrent qu’elles se sont davantage affairées que leurs concurrentes non familiales, depuis plus de 8 ans, à améliorer leurs critères ESG (cf Credit Suisse, sept 2020).

  • La question sociale au cœur de leur mission :

Lorsque l’on évoque les entreprises familiales, l’affectio societatis qu’elles suscitent est, à juste titre, régulièrement mis en avant. Il règne souvent un sentiment d’appartenance positif à la société familiale de la part de ses salariés, la conscience qu’avoir un actionnariat incarné est bénéfique, l’image d’un capitalisme à visage plus humain est souvent évoquée…La famille actionnaire estime souvent avoir une responsabilité sociale importante.

La preuve en est que les entreprises familiales ont souvent un taux de rotation des employés plus faible qu’ailleurs (cf Havard Business Review, mars 2019 « le taux de rotation d’une entreprise non familiale est de 11% contre 9% pour celles familiales »). Ce sont elles, encore, que l’on retrouve en tête des classements des « best workplaces » élaborés par les écoles de commerce qui priment la qualité de vie au travail (sont cités tous les ans, entre autres, Michelin, Wavestone, Décathlon, Dassault Systèmes, Hermès ou encore L’Oréal…). Il semblerait également que, durant la crise sanitaire, les entreprises familiales ont eu davantage à cœur de soutenir leurs employés.

  • La question environnementale au cœur de leur agenda :

Les entreprises familiales sont souvent conscientes de leur nécessité d’exemplarité, ne serait-ce que pour éviter tout risque réputationnel qui entacherait la famille, participant souvent à tout un écosystème local.

Elles prennent très au sérieux les problématiques environnementales, cruciales pour leur pérennité, et cela en plus haut lieu : chez LVMH par exemple, c’est Antoine Arnault qui a, très tôt, pris en charge la politique de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) en veillant à ce que la feuille de route du groupe, ses engagements environnementaux, soient communiqués et appliqués.

Il nous semble déterminant que ces entreprises familiales emblématiques soient pionnières concernant ces problématiques, qu’elles ouvrent la voie et montrent aux plus petites entreprises familiales l’importance, pour leur pérennité, de mettre le Développement Durable au cœur de leurs perspectives à long terme. 

Le grand défi de la gouvernance des entreprises familiales

C’est sur le critère de la gouvernance que les entreprises familiales sont régulièrement attaquées par les agences de notation. La gouvernance serait donc, ainsi, leur talon d’Achille, là où le bât blesse.

Elles sont souvent perçues comme des structures à gouvernance faible : les agences de notation brocardent le manque d’indépendance au sein de leurs Conseils d’Administration et donc l’absence de contre-pouvoir pour défendre les intérêts des actionnaires minoritaires, le cumul des fonctions de Président-Directeur Général, souvent l’apanage des entreprises familiales. A cela s’ajoute la crainte de rémunération exagérée des dirigeants familiaux.  

Néanmoins, nous nous interrogeons sur la pertinence de ces critères. Sont-ils si déterminants pour apprécier une gouvernance ? Puisqu’une solide gouvernance d’entreprise est, sans conteste, nécessaire pour créer de la valeur à long terme, comment expliquer que les entreprises familiales surperforment à long terme si elles ont une gouvernance jugée éloignée des bonnes pratiques ? En rentrant dans les détails, l’on observe également que les retours sur capitaux employés (ROCE) sont meilleurs au sein des entreprises familiales (cf Crédit Suisse) : ne sont-ils pas la conséquence d’une bonne gouvernance ?

Le juge de paix n’est-il pas cela, créer de la valeur et être pérenne ? Les agences de notations ne devraient-elles pas réviser leurs critères lorsqu’il s’agit d’une entreprise familiale qui a des spécificités intrinsèques à son statut ?

Par exemple, une des choses que nous apprécions dans une entreprise familiale est la vision long terme des membres de la famille : pourquoi alors la juger sur le nombre d’indépendants au sein du conseil d’administration (les agences de notation préconisent 50% d’indépendants), indépendants qui seraient peut-être moins enclins à déployer une vision long terme ? De plus, noter l’indépendance du conseil semble justifiée par son lien avec une meilleure discipline financière : pourtant, voilà bien une qualité propre aux entreprises familiales, et ce, malgré un conseil majoritairement familial ! C’est justement parce qu’elles se projettent à long terme que les entreprises familiales sont plus orthodoxes que les autres en terme de solidité bilancielle*, ce qui est clé pour la préservation du capital. Ce que nous valorisons lorsque nous analysons la composition d’un Conseil d’Administration ou Conseil de Surveillance est avant tout la valeur ajoutée réelle que tel membre apportera au Conseil et non son appartenance ou non à la famille.

*cf étude de Crédit Suisse comparant 10 années de ratio Dette Nette/EBITDA des entreprises familiales versus celles non familiales

Selon nous, l’indépendance du Conseil n’est donc pas un critère qualitatif indispensable ; en revanche, celle des autres comités (de nomination, d’audit et de rémunération) nous semble bien plus pertinente et les pratiques des entreprises familiales dans ce domaine diffèrent finalement peu de celles non familiales. De plus, nous qui votons systématiquement aux AG des entreprises dans nos portefeuilles, attachons une attention particulière à la rémunération des dirigeants et n’avons pas à signaler de rémunération excessive au sein des entreprises familiales : elles suivent, du moins pour celles cotées en bourse, les standards de marché. Quoiqu’il en soit, l’indépendance du comité de rémunération est un élément à surveiller

Pour une société familiale cotée, il y a un alignement d’intérêts des dirigeants familiaux et des actionnaires minoritaires vers une progression pérenne du cours de bourse. D’ailleurs, les entreprises publiques ne s’en inspirent-elles pas pour motiver leurs dirigeants à long terme puisqu’elles multiplient les plans des stock-options qui rendent leurs dirigeants actionnaires ?

  • Encore des efforts à faire dans certains domaines

Il existe, cependant, quelques bémols à apporter, des domaines dans lesquels les entreprises familiales ont encore du chemin à parcourir pour être exemplaires. L’asymétrie de traitement des actionnaires en est un. Les familles peuvent avoir tendance à mettre en place des structures juridiques spéciales pour garder le contrôle. La double classe d’actions (ordinaires et préférentielles) est très utilisée par plus de 20% des entreprises familiales cotées et est notamment la spécialité des sociétés familiales suisses et allemandes. Les agences de notation extra-financières valorisent, à juste titre selon nous, un traitement des minoritaires pari passu, le principe primant étant « une action une voix ». Pour s’assurer que les intérêts de l’entreprise ne passent pas après ceux de la famille, une analyse approfondie de la culture d’entreprises et d’éventuelles controverses dont elle pourrait faire l’objet, est alors indispensable.

Autre structure juridique spéciale, le statut de sociétés en commandite par actions est également une prérogative des entreprises familiales outre-Rhin (Merck, Fresenius ou encore Henkel) et en France (notamment Michelin, Hermès International, Bonduelle ou encore Lagardère en son temps). Les gérants y disposent de pouvoirs élargis pour gouverner l’entreprise, en contrepartie d’une responsabilité sur leur patrimoine personnel. Le groupe Hermès International justifie sa forme juridique (SCA depuis 1990) par la nécessité « de préserver son identité et sa culture et d’assurer ainsi, à long terme, la pérennité de l’entreprise, dans l’intérêt du groupe et de l’ensemble des actionnaires ». Il en va donc de la stabilité des entreprises familiales, nécessaire à une stratégie dans la durée, c’est un bouclier anti-OPA hostile qui permettra à l’entreprise d’éviter de se disperser en se défendant contre des prédateurs.

L’influence d’actionnaires long terme est souvent perçue comme un atout que l’on veut favoriser dans les politiques de vote (contrairement aux décisions d’actionnaires court terme, notamment de purs spéculateurs financiers), d’ailleurs de nombreux Think Tanks poussent à une accélération de la règlementation en ce sens. Parmi les préconisations des PRI (Principes pour l’Investissement Responsable), dans le Guide pratique pour l’actionnariat actif, il est indiqué que « la nouvelle version de la directive de l’Union européenne sur les droits des actionnaires (…) reconnaît également que les actionnaires peuvent exercer des pressions à court terme sur les entreprises dans lesquelles ils investissent, au détriment de la création de valeur à long terme et de la prise en compte des questions ESG ». Ils précisent également qu’il est intéressant « de renforcer la fidélité des investisseurs de long terme », ce que sont les actionnaires familiaux !

Néanmoins, les avis divergent, certains estimant que les objectifs court-terme, si importants en bourse puisque les résultats sont publiés trimestriellement, peuvent être sacrifiés par les entreprises familiales au profit du long terme et ainsi, les actionnaires minoritaires ne pouvant se permettre la patience d’une famille fondatrice, pourraient être lésés notamment s’ils détiennent une action dépourvue de dividende ou de droit de vote pour faire entendre leur voix.

A cela peuvent également s’ajouter des problématiques propres aux entreprises familiales tels la question de l’harmonie au sein de la famille qui doit faire l’objet d’une attention constante et d’une formalisation claire des rôles de chacun au risque d’un déséquilibre des motivations des membres de la famille (autour des questions de l’emploi de certains membres et de la politique de distribution des dividendes notamment…), de dissidence lors des successions, de risque de tentation dynastique …

Les entreprises familiales ont ainsi des spécificités qui invitent à ne pas être dogmatique lorsque l’on évalue leurs caractéristiques extra-financières. Même si, comme nous l’indiquions en préambule, il est mal aisé de généraliser des notations ESG, il est intéressant de noter que certaines statistiques (notamment via les données historiques de Refinitiv analysées par Crédit Suisse) indiquent que les entreprises qui sont familiales depuis plusieurs générations ont de meilleurs scores ESG que les entreprises familiales les plus récentes : une des explications pourrait être qu’elles bénéficient de modèles économiques plus aguerris mais également qu’elles ont, impliqués dans l’entreprise, un plus grand nombre de jeunes membres, certainement plus sensibles aux problématiques ESG. Gageons que la génération qui reprend le flambeau est certainement celle qui fera avancer les lignes, qui rebattra les cartes, tout en gardant les forces et valeurs inhérentes aux entreprises familiales, vers davantage d’initiatives pro-actives vers la durabilité, pour transformer l’intention et l’ambition, clairement identifiées, en actions concrètes.

Et l’enjeu est de taille car les entreprises familiales contribuent de façon conséquente à la création d’emplois dans le monde, elles ont donc un rôle de premier plan à jouer dans le Développement Durable !  


Richelieu Gestion | Focus • Avril 2023

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